Contexte
REACT (Resources for European Accessible Cultural Tours) est un projet Erasmus + qui vise à améliorer l’expérience de visite culturelle de tous les visiteurs, en particulier ceux ayant des besoins spécifiques et/ou des adultes, familles, enfants, éloignés de la culture pour différentes raisons (public allophone, environnement défavorisé, etc.).
Ce projet a donc pour ambition d’équiper et former des professionnels afin d’élargir l’offre de médiation culturelle numérique en promouvant l’inclusion, sur site et en ligne, des institutions culturelles et ainsi faire face aux changements et aux défis du secteur muséal.
Dans le contexte de ce projet, les différents partenaires ont pour mission d’aller rencontrer différents acteurs et actrices du secteur culturel afin de recueillir leurs témoignages et leurs points de vue.
Intervenantes
Clémentine Brochet – Chargée de communication chez Les Apprimeurs
Alexia Jacques-Casanova – Fondatrice de Artizest
Retranscription
(Clémentine Brochet) : Pour commencer, peux-tu te présenter ?
(Alexia Jacques-Casanova) : Je m’appelle Alexia Jacques-Casanova, je suis consultante et facilitatrice en démarches participatives dans les musées et plus largement dans les institutions culturelles. Je conseille également sur tout ce qui a trait à ce qu’on appelle l’expérience visiteur, au sein d’un musée.
(C.B) Peux-tu nous parler de ton parcours ?
(A.J) J’ai eu la chance de faire mes études dans des pays anglo-saxons, où j’ai donc pu avoir des expériences professionnelles directement en lien avec le secteur culturel, très tôt. J’ai beaucoup travaillé justement pour des ONG (Ndlr : Organisations non gouvernementales), pour des associations, pour des représentations diplomatiques sur des sujets, des projets qui mêlaient des questions de politique et de justice sociale à des questions d’art et de culture en général.
(C.B) Artizest, c’est quoi exactement ?
(A.J) Artizest c’est donc la structure que j’ai créée pour accompagner les institutions culturelles, les musées dans ce travail de démarche participative sur deux niveaux. Déjà en interne, parce qu’on se rend compte que ce sont des institutions qui souvent travaillent totalement en silo, ce qui fait qu’en fait le manque de conversation est assez…on va dire délétère, notamment pour les publics.
Donc je les accompagne en interne, déjà pour pour qu’ils discutent, mais aussi directement avec le public. Donc mon travail c’est d’imaginer, de créer des protocoles de participation pour que les équipes dans le musée puissent travailler, co-créer ou au moins à minima, consulter les publics auxquels sont dédiées les diverses médiations et les expositions.
(C.B) Avec quels types de structures travailles-tu en général ?
(A.J) Ça peut être des gros musées, des musées nationaux. J’ai aussi travaillé avec quelques éco-musées, des bibliothèques, avec des collectivités, donc des services culturels de collectivités sur certaines thématiques. Et puis sinon vraiment de ce qu’on appelle les instituts culturels, qu’ils soient en France ou alors dans d’autres pays, à l’étranger.
(C.B) As-tu des exemples de projet que tu as pû mené et dont tu pourrais nous parler ? J’ai vu par exemple que tu avais travaillé avec le Musée du Val de Marne récemment ?
(A.J) Alors le MACVAL (Ndlr : Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne) s’engage dans la réécriture de son projet scientifique et culturel. Donc voilà, c’est un document stratégique qui est quasiment obligatoire maintenant pour les institutions culturelles. Et là, la volonté de Nicolas Surlapierre, qui est donc le directeur du musée du MACVAL, c’était d’inclure un maximum d’agents.
Et mon travail a consisté à préparer et animer divers ateliers d’intelligence collective et donc de faire en sorte que tous les agents puissent s’exprimer et puissent participer à la rédaction de ce projet scientifique et culturel.
(A.J) Mais sur la question de l‘implication des publics, j’ai un projet qui est peut être plus parlant. C’est un projet que je mène avec le Musée zoologique de Strasbourg. L’idée c’est qu’à sa réouverture, le Musée zoologique de Strasbourg souhaite intégrer une instance participative, une instance citoyenne qui permettrait donc aux publics, aux Strasbourgeois de pouvoir prendre la parole au sein du musée, en ce qui concerne en tout cas pour l’instant, la programmation culturelle. Et donc mon travail avec le Musée zoologique de Strasbourg, c’est de concevoir et d’animer des ateliers avec les publics, pour définir avec eux à quoi ressemblerait cette instance participative.
Donc au lieu de dire « on va créer un comité de visiteurs ou on va faire un vote annuel » en fait, on définit la base même, le périmètre même de cette instance participative avec les habitants en ce moment. Et là, on va faire des prototypes et des tests à la rentrée sur la base de ce que nous on dit des premiers ateliers.
(C.B) Et quelles sont les méthodes que tu utilises au sein de ton travail ?
(A.J) Pour faire mon travail au sein d’Artizest, j’utilise diverses méthodes que j’ai pu apprendre pendant mes études et pendant mon parcours professionnel. Donc il y a pas mal de « Design thinking » parce que c’est une méthode à laquelle j’ai eu la chance d’être formée quand j’étais étudiante. Pas mal de choses aussi qui viennent de l’éducation populaire, qui est aussi un milieu dans lequel j’ai pas mal évolué au début de ma carrière. Et puis des idées à droite à gauche pour gérer l’intelligence collective… et des questions évidemment d’accessibilité.
(A.J) Mais en fait, pour moi, l’idée c’est toujours d’imaginer le dispositif qui permettra de solutionner le défi qui m’est proposé. Donc par exemple, trouver un moyen pour des habitants de s’impliquer au sein d’un musée ou trouver le moyen de développer l’esprit critique à travers un dispositif de médiation qui soit participatif et interactif. Donc j’ai un défi et j’ai un public qu’il faut amener à résoudre ce défi. Et moi, mon travail, c’est de concevoir des outils, concevoir des protocoles de participation qui vont permettre de créer ce pont.
(C.B) Comment se déroule un atelier ? Y a t-il une méthode qui revient à chaque fois ou cela dépend t-il du public ?
(A.J) Alors, les ateliers participatifs, c’est vraiment du sur mesure ce que ça va toujours dépendre du public et en même temps de l’institution, de son histoire, de son positionnement, de ses objectifs.
Donc en fait, c’est toujours du sur mesure. Moi j’ai une institution culturelle qui vient avec un défi, un objectif, donc, par exemple, impliquer… on va dire impliquer des adolescents, parce que c’est un public qui est souvent recherché par les institutions culturelles.
Donc, moi, à partir de ce défi, je vais imaginer des activités, je vais trouver les bons relais dans la société civile qui vont me permettre aussi d’aller toucher le public cible. Et à partir du temps aussi dont je dispose, parce qu’il y a des ateliers qui durent une 1/2 journée, j’ai des missions qui peuvent durer 6 mois.
Alors je vais encore une fois concevoir le meilleur déroulé d’activités possibles, m’appuyer sur divers canaux d’expression. Donc j’essaie, dans les outils participatifs que je conçois, de vraiment prendre en compte toute la diversité des intelligences et des canaux d’expression pour que chacun puisse y trouver son compte et avoir plutôt un support visuel ou écrit ou oral, individuel ou collectif, pour que chacun puisse trouver justement la porte d’entrée.
(C.B) Et comment tu identifies ces publics ?
(A.J) Souvent, soit on a le défi en tête qui va être par exemple une thématique qu’on aimerait développer l’esprit critique ou on aimerait développer les connaissances, la capacité d’agir sur…je ne sais pas, par exemple, la cause environnementale. Donc là j’ai une thématique et puis on va trouver avec le musée, le public qui est le plus à même d’être impliqué sur cette thématique.
Ou à l’inverse, le musée ou l’institution culturelle arrive avec un public en tête. Donc, par exemple, les adolescents dont je parlais tout à l’heure. Et là, le travail, ça va être de réfléchir presque en sens inverse, à toutes les thématiques, à tous les points d’entrée qui pourraient être pertinents pour ce public. Donc on a un peu deux portes d’entrée différentes, soit une thématique, soit un public. Et puis à partir de là, on peut commencer à travailler.
(C.B) Y a t-il une volonté de rapprocher plus les publics éloignés dans les projets que tu mènes ?
(A.J) Il y a en effet des publics qui sont éloignés des institutions culturelles traditionnelles, ce qui ne veut pas dire que ce sont des publics qui sont éloignés de la culture. Je pense que c’est intéressant de garder en tête que des publics qui ne viennent pas au musée ou qui ne fréquentent pas des institutions culturelles traditionnelles et établies, ce ne sont pas des publics qui n’ont pas de pratiques culturelles. Et donc ça, c’est un travail de terrain qui prend du temps parce que ça nécessite de tisser une relation de confiance. Ce sont des publics qui sont souvent instrumentalisés en fait. Donc le meilleur moyen pour moi, encore une fois, de rapprocher de ces publics et non pas de les faire venir, j’insiste c’est vraiment de le faire à leur condition, sur leur terrain, et en fait justement de réfléchir à comment est ce que le musée peut agir différemment, comment est ce que le musée peut entretenir des relations qui sont multiples et pas toujours cette même relation de « On ouvre les portes – canal unilatéral – des personnes qui entrent dans le musée et point barre. »
(C.B) Est ce que la notion d’accessibilité fait partie intégrante de tes projets ?
(A.J) C’est une question centrale au musée, l’accessibilité. Et là encore, je pense qu’elle nécessite un énorme travail d’exploration, de compréhension des différents usagers, de leurs besoins, de leurs pratiques, de comment ils ou elles contournent certaines difficultés. Si on pense par exemple aux questions d’accessibilité moteur au sein d’un musée meilleur moyen de s’attaquer à ces questions, ça va être d’impliquer les principaux concernés. Et ce, dès les phases de conception. Et donc dès le départ, avant même de produire une idée sur un dispositif qui sera accessible, sur un parcours de visite qui sera accessible, je pense qu’il y a déjà un énorme travail de recherche, d’observation, d’exploration, d’enquête qui malheureusement n’est pas souvent bien réalisé, par manque de moyens, par manque de temps bien sûr, évidemment ce n’est pas la faute des professionnels du secteur, c’est plutôt dû au manque de ressources. Donc ce sont des phases de travail nécessaires mais qui malheureusement sont souvent un petit peu mises de côté.
(C.B) Et quelle est la place du numérique dans les projets sur lesquels tu travailles ?
(A.J) Je pense qu’il y a eu pas mal de choses qui ont été créées, notamment pendant la pandémie Covid et qui ont prouvé que le numérique pouvait rendre certains établissements ou certaines opportunités culturelles plus accessibles à des publics qui ne peuvent pas se rendre sur place ou pour qui le fait d’être dans un espace partagé avec d’autres personnes peut être source de beaucoup d’anxiété ou même totalement impensable. Donc il y a certainement des choses à creuser là-dessus. Même si encore une fois, le numérique n’est pas mon domaine, je trouve que les propositions appelées « figital », qui sont un mélange de physique et de numérique, sont souvent assez intéressantes dans cette optique en effet, d’accessibilité et de proposer des expériences numériques qui ne nous coupent pas de la réalité des collections et donc des dispositifs numériques qui en fait au lieu encore une fois de couper le visiteur et de le mettre presque dans une bulle, en retrait de ce qu’il peut avoir devant lui dans un musée, va au contraire créer un pont avec les objets qui sont exposés à ce moment là.
(C.B) Selon toi, quelles sont les étapes principales pour se diriger vers une médiation la plus inclusive possible ?
(A.J) En fait, ça paraît du bon sens de se dire que, en effet, pour pouvoir concevoir une médiation ou un dispositif pour un certain public, quoi de mieux que de le faire avec ce public et de l’interroger et de co-créer avec ce public, de tester avec ce public, de l’impliquer à chaque étape ?
Donc c’est à la fois du bon sens et à la fois quelque chose qui est très difficile à mettre en place parce qu’on a des manières de travailler qui, à l’origine, ne vont pas dans ce sens là. Mais pour aller vers plus d’accessibilité, pour moi, ce sera toujours ma réponse, c’est impliquer et faire participer. Et aussi bien préparer. Et ce que j’entends par là, c’est être conscient des objectifs de nos visiteurs, des besoins de nos visiteurs et des freins que peuvent rencontrer nos visiteurs. Parce que dans les institutions culturelles, dans les musées bien sûr, on est ouvert à tout le monde. Mais en voulant tout faire pour tout le monde, souvent on a des dispositifs, on a des médiations, on a des messages qui sont totalement dilués. Et même si ça peut paraître un petit peu antinomique, c’est vraiment important de segmenter ces publics et de le faire par besoins et par objectifs plutôt que par tranches d’âge ou par catégories socioprofessionnelles.
Quand on parle de design universel, on va se rendre compte qu’une personne, par exemple en fauteuil roulant, elle peut avoir les mêmes besoins à un moment qu’un parent avec une poussette, alors qu’à l’origine on n’aurait peut être pas mis ces deux personnes dans la même catégorie. Donc réfléchir à une bonne segmentation de ces publics et évidemment les impliquer du début à la fin de la conception, pour moi, ce sont les deux points importants.
Retrouvez bientôt cette interview en vidéo sur le site du projet REACT